Rien n'avance? Faites une pause! (2)
La semaine dernière, nous avons vu qu’il arrive que rien n’avance alors que vous déployez une énergie colossale et que vous avez vraiment, sincèrement, l’impression de tout faire pour y arriver. En scrutant les bénéfices cachés de l'échec, vous avez peut-être compris que vous deviez d’abord nettoyer cela : le statut quo recèle peut-être bien des avantages plus ou moins avouables, et qu’en tout cas vous ne vous étiez pas avoués.
Une fois ce point éclairci, le pour et le contre pesés, si votre décision est prise de persévérer, il est temps de regarder vos actions de façon rationnelle pour comprendre pourquoi ça n’avance pas. Car persévérer dans l'objectif, ce n’est pas nécessairement persévérer dans les moyens. Et si toute votre énergie n’est pas parvenue à vous mener au but, sans doute est-elle mal employée. Il est temps de remettre en question la méthode.
Vous connaissez la fameuse phrase attribuée à Einstein : la folie c’est de faire toujours la même chose et d’espérer un résultat différent. En thérapie stratégique, on appelle ça faire fonctionner le problème. C’est-à-dire que le patient déploie une énergie folle à s’assurer (inconsciemment bien sûr) que le problème va persister. Mais pourquoi faire cela ? Et bien pour les raisons que nous avons vu la semaine dernière.
Mais pas seulement : faire toujours plus de la même chose qui ne fonctionne pas, c’est aussi se protéger de la constatation que tout ce qui a été fait jusqu’à présent était inutile. On préfère penser que ce n’est pas que ce n’est pas la bonne solution, c’est qu'on ne l'a pas encore fait assez. Donc on continue, encore et toujours.
C’est une forme de persévérance très nuisible. Parce qu’elle vous épuise et vous éloigne de façon certaine du résultat attendu. « Errare humanum est, persevere diabolicum ». On a tendance à oublier la deuxième partie de cette proposition. Sans doute aussi parce que reconnaître l’erreur est très difficile. Que cela implique de « prendre sa perte », d’accepter au minimum le coût d’opportunité de tout ce temps – et peut-être cet argent – investi en pure perte. Or, - outre qu’il s’agit rarement d’une perte « pure », parce qu’on apprend toujours de ses échecs et d’autres choses ont pu être gagnées en chemin - plus on tarde à réaliser la perte, à arrêter les frais, plus la perte sera élevée. Et par un de ces apparents paradoxes dont l’esprit à l’habitude, c’est cette perspective d’approfondissement de la perte qui nous rend très difficile de changer de direction.
Que faire alors ? Comme d’habitude, d’abord en prendre conscience.
Ensuite, substituer la souplesse à la persévérance de principe, érigée en valeur. Reconnaître l’obstacle, accepter de changer d’orientation, être réceptif à tous les signes et pas seulement ceux qui ont l’air de valider notre stratégie initiale, prendre la réalité en compte toute entière, comme elle est vraiment. Pour cela, il vous faut aussi (surtout ?) lutter contre vos certitudes, contre cette croyance que le monde est tel que vous le voyez et pas autrement, que vos perceptions sont toute la réalité. Cela veut dire s’ouvrir au doute constructif, à la curiosité véritable, soutenue par la conscience que chaque vision est relative, limitée et biaisée. Lutter pour cela contre les biais cognitifs, qui nous simplifient la vie et nous épargnent les dissonances cognitives, mais qu’il faut absolument surmonter quand la situation devient complexe.
A partir de là, entraîner sa capacité à repartir, rebondir, refaire, reconstruire.
Car oui, il s’agit toujours de faire et défaire, de tâtonner, de se tromper. Nous sommes intellectuellement victimes du biais du survivant (on ne nous raconte que les succès, pas les milliers d’échecs). Or aucun succès, de quelque nature qu’il soit, n’a été conquis sans erreur.
Voilà pourquoi il est temps de faire une pause. Pour prendre de la distance avec votre sujet, avec vos croyances, vos fausses certitudes, vos biais. Pour lever la tête et ouvrir les yeux, pour poser sur le monde un regard différent, voir ce que vous n’aviez pas vu jusqu’à présent. Pour cesser de perdre votre temps à cheminer sur la mauvaise route.
Parfois s’arrêter est la meilleure façon de gagner du temps. Parce que si vous êtes pressé de réussir, n’oubliez pas ce que disait Talleyrand à son cocher : « Va doucement, Jean. Je suis pressé ».